vendredi 26 octobre 2012

Parlons de vrais iris gourmands...

 C'est en reparlant hier avec mes amis perfumistas lors du cocktail Profumum Roma, (sur lequel je reviendrai), de La Vie est Belle que m'est venue l'idée de cet article. 

  Qu'il s'agisse d'un énième fruitchouli dégoulinant de sucre (mais novateur par sa puissance, sans doute), soit:  nous sommes habitués, et hélas à peine surpris et déçus. Qu'il ressemble tant à Flowerbomb de Victor & Rolf, c'est certes un peu choquant puisqu'ils proviennent tous deux, comme par hasard, du même groupe (L'Oréal). Qu'il surfe comme tant d'autres sur les succès de Coco Mademoiselle et d'Angel, que voulez-vous, pourquoi prendre des risques et utiliser les talents des 3 parfumeurs qui l'ont créé alors qu'on peut brimer leur créativité en s'en référant uniquement aux tests consommateurs??  (Qui, soit dit en passant, ne risquent pas d'évoluer si on leur propose toujours la même chose.... Pour faire un parallèle, pourquoi voudriez-vous qu'un gosse à qui l'on n'a jamais filé que du Mac do, réclame tout d'un coup de lui-même du poisson?) ... 
   Mais que Lancôme se vante, en outre, d'avoir créé je cite le "premier iris gourmand",  là ça devient franchement gênant.  

  Gênant, parce que tout d'abord, l'iris, dans ce parfum, il faut vraiment aller le chercher... J'admets volontiers que respirer ce parfum plus de dix minutes pour moi qui déteste les fruitchouli, relève de la torture olfactive, mais tout de même. Lorsqu'on sait de surcroît que l'iris est la matière la plus coûteuse de la parfumerie, on peine à croire qu'il soit vraiment naturel dans La Vie est Belle..  (Mais puisqu'on a englouti tout le budget dans la communication, s'il est naturel, il doit être présent à dose infinitésimale). Enfin et surtout, c'est mensonger puisque c'est oublier nombre de parfums autrement plus beaux et créatifs qui sont de belles illustrations de ce qu'est un vrai accord iris gourmand,  comme Dior Homme, pour ne citer que lui. 

   C'est pourquoi j'ai eu envie de revenir sur quelques beaux "iris gourmands" qualitatifs, histoire de montrer ce que notre parfumerie peut créer, lorsqu'on lui en laisse les moyens et la possibilité. 

  Commençons par un des plus connus, en mainstream, Dior Homme. Certes, un peu reformulé depuis qu'LVMH est passé par là en rapatriant ses formules, ce dernier proposait de manière  novatrice lors de sa sortie (2005) un bel accord iris-carotte-cacao, sur un fond boisé et ambré. Ici on se joue des codes, en adaptant le poudré au masculin, pour en faire un parfum doux, sexy, vibrant et original. La version actuelle a perdu de sa finesse et de son originalité, plus "virile", moins subtile,  les accents carotte et chocolats de l'iris ayant été atténués et lissés.  Mais il en subsiste un parfum encore nettement plus beau que bon nombre de créations masculines sur le marché.

  L'iris gourmand se retrouve aussi chez Guerlain, et semble être un accord cher à Thierry Wasser . D'abord dans une gamme plus "niche", l'Art et la Matière, avec Iris Ganache, en 2007, un parfum qui met en valeur cette matière incontournable qu'est l'iris chez Guerlain, sur un ton chaleureux et sexy. En étirant les facettes "cacao" du beurre d'iris vers un aspect "chocolat blanc",  sur un fond vanillé et ambré, on obtient une gourmandise raffinée, aux notes poudrées et crémeuses.

 
L'équilibre entre l'élégance de l'iris et la sensualité d'un fond gourmand et ambré va de nouveau être exploité par Thierry Wasser pour une création plus "mainstream" chez Guerlain, mais non moins qualitative: Shalimar Initial.  Cette fragrance, c'est d'abord, un peu, la structure de Shalimar qu'on aurait bousculée dans un autre ordre: les notes florales discrètes de l'original ont ici été déployées en coeur, la bergamote overdosée plus en sourdine, pour laisser plus de place à la lavande, le fond vanillé dépouillé de son animalité mais toujours très onctueux et riche en fève tonka, sans oublier le patchouli bien sûr. Mais c'est aussi et ce, dès l'envolée du parfum, l'iris que l'on sent s'imposer d'un bout à l'autre de la composition, un bel iris, pour un effet poudré très Guerlain, finalement. Un beau beurre d'iris, associé à un fond vanillé gourmand, baumé et sexy. Voici il me semble, pour le coup, un bel iris gourmand conjugué au féminin dans le mainstream.

 
Il y a évidemment d'autres exemples d'iris gourmands ou chaleureux en parfumerie, (Equistrius, Parfums d'Empire,  Infusion d'Iris Absolue, Prada...). Mais il y en a un sur lequel j'aimerais m'attarder avant de clore cette revue, c'est Volutes de Diptyque, notamment dans sa concentration eau de parfum (puisqu'on parle ici d'iris gourmands).



  Dès sa sortie à la rentrée, ce lancement a séduit la blogosphère mais pas seulement, puisqu'il semble très bien se vendre, notamment sur le stand du Printemps Haussmann. Ce parfum pourrait être un croisement entre Infusion d'Iris, Dior Homme et Ambre Narguilé par exemple. Je ne sais plus qui a évoqué une ressemblance avec Midnight Paris de Van Cleef & Arpels, mais je leur trouve, il est vrai, un petit quelque chose en commun, peut-être un effet thé fumé, associé à des notes plus gourmandes-ambrées. Bref, ce parfum propose un accord iris-tabac miellé des plus réjouissants. Je parle ici d'iris gourmand, or c'est un peu réducteur, puisque ce Volutes n'est pas que ça. C'est également une belle variation sur les notes tabac, à la fois tabac miellé et tabac amsterdammer. On peut aussi parler d'effluves épicées, fumées et légèrement cuirées, voire presque, furtivement,  un peu "goudron" sur ma peau en edp.  Mais son originalité réside bien dans cet équilibre iris hautain/tabac miellé un peu sucré et baumé, que je conseille, pour ceux qui ne l'auraient pas encore fait, d'essayer au plus vite. Mention spéciale, pour le très beau nom, Volutes, qui m'évoque toujours "Variations sur Marylou" de Gainsbourg,  (..."tandis que Marylou s'amuse à faire des "volutes" de sèches aux menthol...").
 

 

    

vendredi 5 octobre 2012

La marque By Terry se met au parfum...

  Terry de Gunzburg,  créatrice de la marque de cosmétiques By Terry, s'est lancée cette année dans le domaine de la Haute Parfumerie. Avec une ligne de 5 créations, au packaging un peu "rétro", non sans charme, et des prix plutôt raisonnables pour de la niche, elle réalise une envie qui lui tenait à coeur depuis longtemps. 

  En effet, à en croire les interviews et les articles de presse qui lui sont consacrés, cela fait plusieurs années que lui trottait dans la tête l'idée de lancer une collection de fragrances, avec pour référence les sillages qui ont peuplé son enfance,  (Bal à Versailles, Miss Dior,  Mitsouko), mais aussi plus récemment, des exemples comme Serge Lutens, qu'elle affectionne tout particulièrement. Si on ne joue pas ici sur le même terrain que cet orfèvre de la parfumerie, l'idée était toutefois d'offrir des parfums composés de belles matières premières, et dont le rendu olfactif lui plaisait. Pour ce faire, elle a d'abord appris à sentir, puis, n'étant pas nez pour autant, a fait appel à la société de création Robertet, afin de réaliser une gamme de parfums faisant la part belle aux fleurs blanches, mais pas seulement. 

  Très joli sur le papier, mais qu'en est-il réellement, à vue de nez, de cette collection? Les perfumistas en quête d'inattendu devront passer leur chemin, car on n'est pas ici dans le registre du jamais-senti, jamais exploité. En revanche, reste une belle ligne de parfums, bien maîtrisée, certes, dans un esprit  classique,  mais de manière qualitative, avec de beaux matériaux, le tout à un prix plutôt accessible pour de la "haute parfumerie".  



  Le plus intéressant  et original de la gamme est, à mon nez, Ombre Mercure,  qui ne m'évoque aucun autre parfum déja senti. On m'avait parlé de violette, or c'est plutôt la feuille de violette que je sens, sur un fond oriental assez patchouli.  Au fil de l'évolution se dessine une sensualité "sèche" et boisée, tout en s'étirant longuement au fil des heures sur un fond texturé, où  le benjoin arrondit légèrement la composition.


  J'aime aussi assez Parti Pris, un floral solaire sur fond vanillé et baumé, dans l'esprit d'un Songes par exemple, mais moins exotique, moins lascif. Rien de nouveau sous le soleil pour cette fragrance, c'est un genre que l'on connaît, mais c'est joli, sensuel et très féminin. Le dossier de presse parle de tubéreuse, dans ce cas très sage alors! Je définirais plutôt cette fragrance comme un duo ylang-tubéreuse, à l'envolée très légèrement fruitée et croquante, mais qui se pare rapidement de ses charmes suaves et salicylés, pour évoluer vers un fond vanillé et très "baume de tolu".

  Lumière d'épices est une jolie fragrance construite autour du tandem fleur d'oranger-jasmin, dans la lignée du  beau Fleurs d'Oranger de Lutens.

  La figue est décidément une note en vogue ces derniers temps, puisqu'elle est une fois de plus mise en valeur ici avec Fragrant délice, dont on a tiré l'aspect gustatif vers une évolution plus gourmande avec un fond amandé-lacté empreint de santal.

  Enfin, le dernier, Rêve Opulent, est celui que j'aime le moins, parce qu'il flirte avec ce genre que j'affectionne si peu en parfumerie: le floral fruité. (Oui, à l'exception de la prune, j'ai une véritable aversion pour les notes fruitées). Bien que construit autour du gardénia, que j'adore,  (mais dans ce registre je vous conseillerais plutôt de lorgner vers le dernier-né de Lutens), ce parfum, aux facettes légèrement aqueuses, exhale des effluves d'ananas et de banane (probablement en raison de l'acetate de benzyle). J'ai aussi entendu des clientes lui trouver des faux-airs de J'adore, remarque non dénuée de sens.  Bref, vous l'aurez compris, à mon nez c'est le plus commercial de la gamme (même si on est loin de La Vie est Belle je vous rassure), et pour moi, celui-ci n'a pas vraiment sa place dans une gamme dédiée à la Haute Parfumerie.

   D'ailleurs, peut-on parler ici de niche et de Haute Parfumerie? Ca se discute....Certes, on peut attendre de la haute parfumerie qu'elle bouscule les codes, mais on attend aussi d'elle de la qualité, or du "bien foutu", ce n'est pas ce qui manque aux parfums de Terry de Gunzburg.  Néanmoins, il me semble que le propos n'était pas forcément ici d'innover avec des compositions extravagantes,  mais plutôt de créer des fragrances de belle facture, dans la tradition d'une parfumerie à la française. Si je ne me trompe pas, alors c'est plutôt réussi, malgré un ou deux parfums aux  faux airs de "déja-vu". En tout état de cause, ce qui est certain, c'est que l'on aimerait que le mainstream ressemble à ça:  des parfums accessibles olfactivement, mais bien construits et qualitatifs.